Aujourd’hui, une des surveillances majeures en salle de naissance consiste à faire un toucher vaginal chaque heure pour déterminer la dilatation du col. Les sages-femmes ne savent dire si une femme est en travail ou non qu’en palpant son col. Elles déterminent aussi la hauteur de la présentation, son orientation, s’il y a toujours la poche des eaux, si le col est mou, rigide, postérieur ou centré. C’est le B.A.-ba de notre formation.
Je me souviens d’une femme arrivée aux urgences de la maternité Lariboisière à Paris qui, d’après le moi d’aujourd’hui, était loin entre les mondes, sur le point d’accoucher de manière évidente. Procédure et formatage obligent lorsqu’on sort du diplôme, je l’examine après avoir pris soin de vérifier que son placenta n’est pas inséré sur le col (bonne élève quoi…) « Madame, vous n’êtes qu’à 3 cm, mais vu votre état je vous admets en salle ! » Les collègues ricanent en la voyant traverser le bureau, à quatre pattes sur les contractions, se massant frénétiquement le dos. Je branche le monitoring, je prépare de quoi la perfuser (bah oui, elle n’est qu’à 3 !) quand elle dit « ça pousse ! » Mais voyons donc ! Comment ça, ça pousse ? Je jette un oeil à son entre-jambe pour vérifier. Ah mais tu m’étonnes que ça pousse ! La tête apparaît à la vulve (et ma perf alors ?!) Une collègue saisit mon inquiétude et me confirme qu’on s’en fiche de la perf. Je réceptionne alors le bébé sans plus de crainte (des représailles de ne pas avoir mis de perf…)
Voilà une belle leçon : le col ne dit pas tout. Il ne dit surtout pas si l’accouchement et pour dans 10 minutes ou dans 10 heures. Savoir lire une femme qui accouche ne passe pas (que/du tout ?) par l’examen de son col utérin.
Alors, peut on se détacher de l’objectivation de la dilatation du col en centimètres ?
L’ouverture du col se sent, se lit, sur la personne qui enfante, en écoutant la symphonie de la naissance en court. Lorsqu’on est familier aux différents stades de modification de conscience que va vivre une personne qui enfante, embarquée dans son vortex de naissance, on ne peut plus se tromper. Cela requiert un bon ancrage, une connexion fine à ce qu’il se passe dans l’ether (mais que dit-elle ?), de l’observation, de la patience. Mais on peut ainsi prévoir une naissance plutôt imminente ou pas.
Donner un chiffre au processus en cours, c’est comme y mettre une note, ça ne donne pas le plein pouvoir à la personne qui enfante. « Je ne suis qu’à 3 ? Mais alors j’ai mal pour si peu… Suis-je douillette ? Pourquoi ça ne s’ouvre pas ? » Dans ces conditions, la femme qui se voit infliger le 3/10 (ou pire, le « un doigt tout juste ») peut se renfermer et stopper net son travail.
Par contre, si sa nature sauvage prend le dessus, comme cette femme dont je vous ai exposé mon souvenir, alors le col suit et s’ouvre, sans se soucier du temps ni des règles inscrites dans les livres d’obstétrique.
Le toucher vaginal, intrusif, peut non seulement apporter des germes dans l’utérus et au bébé, mais il sort également la femme de sa bulle, l’obligeant à se mettre dans des postures inconfortables, propices à l’examen. Bien entendu, il peut arriver que la femme elle-même demande l’objectivation de sa dilatation pour prendre une décision. La sage-femme aussi peut en avoir besoin. Déterminer par exemple si un bébé se positionne bien lorsque le travail s’étire, que la maman se lasse, peut aider à l’établissement d’une conduite à tenir pertinente. Il va se soi que cela reste soumis à l’approbation de la personne qui recevra l’examen, lequel ne devrait jamais être proposé en première intention.
Pour moi, l’objectivation de la dilatation du col est un acte qui ramène la femme qui enfante dans son intellect, duquel il serait bon qu’elle se coupe durant l’enfantement. L’activation du néocortex va contre la danse hormonale produite dans son cerveau plus primitif et cela peut perturber le processus en cours. Elle peut tout de même apposer de belles images de fleurs qui éclosent, de lumière grandissant, de fruits juteux, mais inutile d’aller lui confirmer si son idée est correcte, d’autant que l’examen vaginal n’est pas fiable et très sage-femme dépendant.

Sachez aussi que le col utérin est plein de collagène et de fibroblastes, mais qu’il contient aussi 10% de cellules musculaires qui lui donnent la capacité de se refermer si un danger se présente.
Alors, prête pour l’embarcation sans examen vaginal ?